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30 avril 2012

Carnet des rencontres : Charles Juliet

Réveillé à 6h dimanche matin après m’être couché à 2h30. Dehors, dans le faible jour et sous un ciel bas, des bourrasques tièdes et sèches, inhabituelles en cette saison, agitent les frênes encore nus. Plus loin, au village, l’éclairage public est encore en veille. Le gros chat vagabond que je nourris patrouille déjà autour de la maison.

Samedi après-midi, j’ai assisté à l’intervention de Charles Juliet à la bibliothèque municipale d’Oyonnax. Ambiance amicale et décontractée.

 

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Charles Juliet à la bibliothèque du centre culturel Aragon à Oyonnax. (Photo © Christian Cottet-Emard, 2012)

Ma dernière rencontre avec Charles Juliet devait dater de la fin des années 80 ou du début des années 90, époque à laquelle je l’avais photographié pour un journal quotidien et pour la revue de littérature et de sciences humaines Le Croquant. Hier, par la magie des appareils qui fonctionnent en silence et sans éclairs, j’ai tiré quelques photos en l’écoutant parler de sa naissance laborieuse à l’écriture, de ses années de doute, de sa quête de soi, de ses souvenirs de jeunesse et de maturité et du degré d’exigence qu’il s’efforce d’apporter à sa pratique d’écrivain.

Ce moment d’échange entre les lecteurs et Charles Juliet m’a rappelé les circonstances professionnelles parfois marquées d’anecdotes comiques qui m’ont conduit par le passé à me trouver en sa présence. J’avais abordé le sujet dans ces colonnes dans ce texte sur le thème des rencontres avec les écrivains que je redonne aujourd’hui :

L’écriture, c’est bien sûr la rencontre avec le lecteur, la principale, mais aussi les rencontres, plus contingentes, avec d’autres écrivains. Alchimie incertaine, moments délicats, instants de grâce, rendez-vous manqués et festival de gaffes au programme.
Lors de mes débuts dans la presse, au début des années 80, je vois encore Charles Juliet, s’adressant à des lycéens depuis une estrade au lycée Paul Painlevé d’Oyonnax, rouler des yeux anxieux dans ma direction parce que je me contorsionnais sous son nez pour lui tirer le portait lors d’une interminable séance de photos au terme de laquelle je m’aperçus avec horreur qu’il n’y avait pas de pellicule dans l’appareil, Jean-Marie Auzias me préciser que cet enfant qui était tout son portrait n’était pas son petit-fils mais son fils et Serge Montigny encaisser sans broncher mes vieilles aigreurs contre Tel quel et le polar avant que je n’apprenne son influence dans ces deux sphères littéraires.
En matière de communication avec mon prochain, mes jours les moins inspirés sont souvent ceux que j’essaie de transcender par des assauts de sincère bienveillance. Dans ces moments-là, j’ai ceci de commun avec l’enfer : pavé de bonnes intentions. « On a frôlé le chef-d’œuvre » ai-je déclaré à mon amie (et qui l’est restée) Marie-Ella Stellfeld à propos de son excellent roman noir, L’homme aux oreilles de jazz.
Attention aux petites blagues censées détendre l’atmosphère autour d’une bonne table : « quelle est la différence entre un critique gastronomique et un critique littéraire ? Le premier crache dans la soupe, le second la sert » ai-je soufflé à l’oreille de Marcel Bisiaux qui, je le savais pourtant pour être un de ses fidèles lecteurs, signait dans la Quinzaine Littéraire une chronique mêlant littérature, philosophie et gastronomie.
Difficile de se refuser le subtil plaisir de mettre les pieds dans le plat, surtout avant de passer à table. À Meillonnas dans l’Ain, lors d’un apéritif en plein air, en petit comité et en bonne compagnie, en présence, notamment, de Charles Juliet, quelqu’un se fendit de cette classique et non moins étrange question, version assez voisine et collective de la récurrente « Tu écris toujours ? » : « pourquoi écrivez-vous ? » Je ne me souviens plus de quelle manière Charles Juliet se tira de cet embarras mais lorsque les regards convergèrent vers moi, j’en étais encore à allumer un petit Davidoff et, Dieu sait ce qui me passa par la tête, je répondis que j’écrivais pour payer mes cigares, ce qui eut pour effet de faciliter le passage d’un ange et de couper court à tout dialogue, notamment avec mon voisin de fauteuil en rotin, l’auteur de L’année de l’éveil qui m’envoya un regard éteint sans toutefois renoncer à un haussement de sourcil désapprobateur.
Après le dîner, Michel Cornaton, le maître de maison, demanda à Charles Juliet s’il voulait bien accepter de poser pour une photo et me désigna pour appuyer sur le déclencheur. Mon appareil était certes chargé ce soir-là mais le flash ne voulut jamais partir. Je suggérai donc à notre hôte de braquer un petit abat-jour sur la tête de Charles Juliet, ce qu’il s’empressa de faire en une laborieuse gymnastique qui mit notre écrivain assez mal à l’aise. Après les photos sans pellicule, on lui refaisait le coup sans flash et en lui braquant une ampoule dans la figure, comme dans les films policiers... Quand vint l’heure du digestif, pour me faire pardonner ces enfantillages et lui prouver que je le lisais depuis longtemps, je demandai à Charles Juliet de me dédicacer un opuscule imprimé en ronéo par les éditions du Dé bleu, un petit recueil de fragments de son fameux journal. Il sembla surpris et perplexe de voir réapparaître cette humble et ancienne publication qu’il parapha poliment. Avec tout ce que je lui avais fait endurer, peut-être me soupçonnait-il maintenant d’être un de ces collectionneurs d’autographes n’ayant de cesse de revendre l’objet pour acheter des cigares !
J’ai dû m’entretenir, jusqu’au moment où j’écris ces lignes, avec une bonne trentaine d’écrivains, connus et inconnus, peut-être même un peu plus, ce qui est peu, compte tenu de mes activités de presse et de mes déplacements (de plus en plus rares) dans des salons et autres lieux du livre. Que reste-t-il de ces contacts ? Quelques anecdotes, de franches rigolades, une certaine mélancolie et les reproches affectueux de quelques amis estimant que « je n’avais pas su cultiver ces relations pour faire mon chemin dans le monde littéraire » (sic). Ils ont probablement raison mais mon caractère ne me permet pas d’instiller de la stratégie dans mes relations amicales ou simplement cordiales avec les écrivains et les artistes que le destin met sur mon chemin. De plus, je préfère passer pour un ours que d’être soupçonné du moindre comportement courtisan. Enfin, s’il est presque toujours intéressant d’approcher un écrivain en chair et en os, la vraie rencontre est évidemment dans l’œuvre, celle-ci pouvant parfois se révéler bien supérieure aux qualités humaines de son auteur.
Lorsqu’il m’arrive de franchir l’étrange frontière entre l’auteur et le lecteur, matérialisée par une méchante petite table destinée aux signatures, et de m’essayer à l’exercice des dédicaces, j’appréhende la déception de celle ou de celui qui a pris plaisir à la lecture de mes livres et qui ne découvre qu’un bonhomme empêtré dans la recherche de l’équilibre entre convenances sociales et spontanéité, art où je n’excelle guère. Mais j’arrête là l’autocritique, suivant ainsi le conseil de Sacha Guitry : « ne dites pas trop de mal de vous. On vous croirait. »

26 avril 2012

Charles Juliet à Oyonnax (Ain)

Samedi 28 avril à 16h à la bibliothèque adulte du centre culturel Louis Aragon d'Oyonnax dans l'Ain, le public est convié à une rencontre avec Charles Juliet.

Photo : Charles Juliet reçu par Michel Cornaton, directeur de la revue Le Croquant dans la maison de Roger Vailland à Meillonnas dans l'Ain. © Christian Cottet-Emard, 1989

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10 août 2008

Jean Tardieu dans sa maison natale

 

(Cet article que j'avais publié après la disparition de Jean Tardieu en 1995 a été repris dans la revue Le Croquant n° 57/58, été 2008). Une version abrégée a paru dans La Quinzaine littéraire du 16 février 1995, n° 664.1274736824.jpg


tardieuportail.jpg On est venu chercher Monsieur Jean. Pour toujours. En juillet 1988, il avait tenté de retrouver son double, « l’enfant resté au bord de la route », à Saint-Germain-de-Joux, dans l’Ain.

Un geste, une attitude valent bien toutes les explications de texte pour approcher la réalité d’un écrivain admiré que la chance autorise à rencontrer. Jean Tardieu, de retour dans sa maison natale à l’occasion d’une visite à Alain Claude, à l’époque directeur du Centre culturel Aragon d’Oyonnax, vient de franchir le seuil de la demeure construite en 1715. Le voici déjà dans une chambre où il se saisit d’un petit sablier posé sur une commode. Il tourne et retourne dans ses mains cet objet qui peut symboliser un grand thème de son œuvre : le temps. Jean Tardieu, on le voudrait éternel, et le sablier suscite des questions que l’on ne peut s’empêcher de se poser : « Où ? Quand ? Combien de temps encore ? » La réponse est tombée comme un couperet le vendredi 27 janvier 1995. Désormais restent l’œuvre et quelques images, des photographies dont il a supporté la contrainte avec gentillesse, malgré son absence de goût pour les séances de pose.

À cet égard, l’homme et l’œuvre, une fois encore, se rejoignent. La discrétion, l’attention pour ce qui ne se révèle pas sous une lumière artificielle, caractérisent l’auteur et ses écrits. Le contraire surprendrait de la part d’un poète qui intitule ses livres Le Témoin invisible, Histoires obscures, ou Une Voix sans personne… La poésie, surtout en ces temps de poudre aux yeux, est-elle autre chose que cette disponibilité au murmure, à l’innommé ? Dans la voiture qui le reconduit à son hôtel, à Nantua, après les retrouvailles avec son lieu de naissance, Jean Tardieu acquiesce en insistant sur l’exigence que le choix d’une telle direction requiert chez celui qui veut aujourd’hui avancer sur le dur chemin de la création littéraire.

Comme Jean Tardieu, jouons-nous un peu du temps et revenons quelques heures en arrière. Les déambulations dans les couloirs de la maison de Saint-Germain-de-Joux se prêtent plus à des échanges informels qu’à un entretien dans les règles de l’art. Celui-ci aura d’ailleurs lieu trois ans plus tard à Meillonnas, lorsque Jean Tardieu se verra remettre par le Conseil général de l’Ain le Prix Voltaire, créé par la revue Le Croquant. Mieux vaut, pour l’instant, laisser Jean Tardieu à sa joie de retrouver une parcelle préservée de son enfance. Ici, c’est « un tableau qui n’a pas bougé », et là, « une lanterne magique toujours à sa place ».  Ce matin gris d’été 88, la courtoisie, la simplicité et la vivacité de Jean Tardieu, heureux de se trouver là, mettent tout le monde de bonne humeur. Son épouse Marie-Laure sème un peu partout des coups d’œil amusés et bienveillants. Derrière ce regard malicieux se cache une femme de science. À l’époque de son mariage, elle entre au Museum d’histoire naturelle comme sous-directeur de laboratoire et se retire en 1972 en terminant sa carrière au poste de directeur de laboratoire à l’École des Hautes Études.tardieulivre.jpg

Jean Tardieu s’assoit près de la fenêtre et ouvre un grand album relié. Le vert sombre de la nature qui baigne Saint-Germain, tout près, derrière les vitres, fait surgir de la mémoire un poème précis : La Fenêtre ou les noms de mon pays. Le temps rapide du dehors et le temps suspendu de la maison se mélangent. L’auteur de ce prodige est là, curieux de cette poche de temps intacte où il vient de pénétrer, par effraction pourrions-nous dire, si Mme Rugo de Saint-Germain-de-Joux, qui détient les clefs de la maison, n’avait elle-même ouvert la porte au petit cortège de visiteurs.

« Moi, je vois le temps. Et même, non seulement je le vois, mais aussi je l’entends et je le sens, je l’éprouve, je le vis » , dit un personnage dans L’animal du temps, extrait de La Première personne du singulier, et de conclure : « fondre, fondre et couler tout à fait, devenir le temps ! » En 1991, dans un entretien accordé à la revue Le Croquant, dirigée par Michel Cornaton, Jean Tardieu évoque sa double personnalité : « un enfant qui serait aussi un vieillard, un vieillard qui serait aussi un enfant ! » Au gré des veilles et des nuits blanches – Jean Tardieu écrit la nuit – l’immersion dans le temps se réalise en un poème, seule trace tangible de cette aventure fugace.

Ce jour, dans la maison natale, l’écrivain trouve un autre moyen que le poème pour se fondre un moment au cours du temps. Il lui suffit de tendre la main, ici, au milieu de ses souvenirs protégés par les forêts d’épicéas, à son double inquiet du texte L’enfant resté au bord de la route : « Comme je voudrais retourner vers l’enfant ! Il savait tout d’avance, et c’est bien pour cela qu’il pleurait. »

Le bruit des clefs se répercute dans les couloirs de la grande maison. Mme Rugo raccompagne M et Mme Tardieu entourés des amis et des journalistes. Quelques éclairs de flash fusent sous le ciel bas. Un sourire discret pétille dans les yeux de Jean Tardieu. Il doit s’amuser du bon tour qu’il vient de jouer au temps qui file, en revenant à l’improviste dans sa maison de jadis.

Photos: 1) Le poète Jean Tardieu devant le portail de sa maison natale. 2) « La Fenêtre ou les noms de mon pays » . © Photos Christian Cottet-Emard, droits réservés.